Le relais des cigales

Si je ravive en moi le souvenir de mes premières impressions de lecteur, c’est aussitôt le sentiment d'un monde qui vient de finir et dont il ne reste sur la rétine que l’image fugitive du passage de la chevelure d'une étoile filante.

C’est à l’école primaire que je dois d'avoir éprouvé, certes de manière encore bien confuse, ces émotions : nous y lisions alors un livre pour la jeunesse qui évoquait le premier amour d'un adolescent, fils du propriétaire du Relais des Cigales (qui donnait son nom au roman), station-service de la nationale sept, pour une jeune parisienne. Bien plus que le récit en lui-même, ce qui m’émouvait alors était le décalage temporel que le livre me proposait d’avec mon expérience des voyages dans le sud que notre famille inaugurait. Mais c'était déjà l’autoroute que nous empruntions puisque le relais des cigales avait cessé son activité à la fin de l’année scolaire, victime de la désaffection des automobilistes pressés pour la trop lente nationale sept : le livre trouvait son prolongement lorsque nous passions vers Montélimar et que je cherchais désespérément depuis l’autoroute le relais des cigales.

Ce sentiment d’un monde disparu, d’une accélération de l’histoire m’est revenu bien plus tard lorsque j’eus entre les mains la Recherche, l’impression d’une de ces catastrophes préhistoriques, comme de la chute d’un météore qui signerait la fin du règne suranné des dinosaures.